Il est impossible de comprendre l’Afrique si l’on fait abstraction des religions.
Qu’est-ce que l’animisme?
Sabin MUSENG KAPEND : Il y a beaucoup d’idées fausses qui circulent à propos de l’animisme.
Pour bon nombre d’Occidentaux, c’est le fait de croire en l’existence d’esprits qui habitent les plantes, les rivières, les forêts, les animaux, etc. En fait, c’est bien plus que cela. L’animisme n’est pas une religion au sens où on l’entend habituellement. Il s’agit d’une vision du monde où il n’y a pas de frontière entre le monde visible et le monde invisible, le sacré et le profane.
Le culte des ancêtres y est également très important ?
S.M.K: Oui, mais ce culte ne se comprend vraiment que lorsque l’on sait comment fonctionne une famille africaine. Chez nous, la famille ne se limite pas aux tout proches; elle peut compter des milliers de membres. Et comme nous croyons que tout ne se termine pas avec la mort, nous considérons les membres défunts de la famille comme faisant toujours partie de la famille. Je me rappelle que lorsque j’étais enfant, mon père déposait toujours un peu de nourriture par terre pour les ancêtres avant de commencer le repas. Nous croyons également que les morts peuvent intervenir pour les vivants, leur rendre des services. Ils peuvent également les punir lorsqu’on les oublie. C’est une manière pour eux de nous rappeler qu’ils ont eux aussi le droit d’être aimés.
L’animisme peut-il être considéré comme une religion à part entière?
Alain KALENDA KET(2): Lorsque nous faisons des statistiques pour les envoyer à Rome, nous rangeons dans la catégorie ‘animistes’ toutes celles et tous ceux qui n’appartiennent pas à l’une des religions instituées (christianisme, islam, etc.) et qui sont restés fidèles au culte des ancêtres et des esprits. Mais, en fait, tout Africain reste marqué par cette vision du monde, même lorsqu’il est chrétien. Le fait de recourir à la magie, par exemple, ne lui semble pas inconciliable avec sa foi. Il n’a pas l’impression de la trahir. Je connais d’ailleurs un prêtre catholique qui a conservé certaines habitudes animistes et qui verse du vin par terre pour les ancêtres avant son repas.
Mais arrive-t-il que des chrétiens se confessent d’avoir eu recours à des pratiques magiques?
A.K.K.: Oui, surtout en ville. Certains, en entendant la prédication des prêtres, sont pris de remords. A la lumière de l’Evangile, ils se disent qu’ils ont manqué de confiance en Dieu, qu’ils ont eu recours à une autre force que la sienne. Alors, ils se confessent et manifestent leur désir de revenir à Jésus-Christ.
Les Africains croyaient-ils en Dieu avant l’arrivée des premiers missionnaires européens?
S.M.K. : Oui, car l’animisme, contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, n’est nullement synonyme de paganisme, même s’il existe des animistes païens. Selon nos croyances ancestrales, il y a une hiérarchie des êtres, tant dans le monde visible qu’invisible. Au sommet de cette hiérarchie se trouve Dieu, qui est unique et dont le nom générique est Zambi. Viennent ensuite, par ordre décroissant, les esprits, les ancêtres, les guérisseurs, les chefs de village, et ainsi de suite
A.K.K.: C’est un Dieu plutôt lointain, dont il n’existe aucune image, auquel on ne rend aucun culte et que l’on n’invoque jamais, sauf lorsque les problèmes sont trop importants. Voilà pourquoi les Africains préfèrent s’adresser aux ancêtres plutôt qu’à Dieu. Ils servent d’intermédiaires, de médiateurs.
Quand les Européens sont arrivés en Afrique se sont-ils d’abord intéressés à vos croyances ou ont-ils tenté directement d’imposer les leurs?
S-M-K: Comme ils ne voyaient aucune représentation de ce Dieu unique, ils se sont imaginé que nous étions polythéistes, et donc des païens à convertir. Heureusement, par la suite, des missionnaires européens ont entrepris des recherches et se sont rendus compte que l’Africain avait une vision de Dieu très développée et intéressante.
A.K.K.: Ce que nous reprochons aux occidentaux, c’est d’avoir voulu faire table rase de toutes nos croyances, et donc d’une partie importante de notre culture. Les tam-tams, les danses, les transes… Tout cela n’était à leurs yeux que des diableries à faire disparaître au plus vite.
Comment les Africains ont-ils réagi ?
S.M.K.: Je pense que les Africains n’ont été occidentalisés qu’en surface. Intérieurement, beaucoup sont restés fidèles aux anciennes croyances. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que beaucoup n’ont pas apprécié que l’on vienne ainsi remettre en question leur vision du monde.
A.K.K.: Quand les Européens sont arrivés, ils ont tout de suite créé des villages chrétiens afin de mettre à part les nouveaux convertis. Dans ces villages, on interdisait tout ce qui avait rapport à la tradition ancestrale, y compris dans le domaine de l’art et de la musique. Les Africains ont essayé de suivre les préceptes du christianisme, mais beaucoup retournaient à la tradition dès que les prêtres catholiques ne parvenaient pas à résoudre tel ou tel problème. Ainsi, par exemple,le mariage traditionnel est-il beaucoup plus festif et important aux yeux des Africains que le mariage religieux.
LA LIBRE BELGIQUE
Petit lexique animiste
Animisme: Du latin « animus » signifiant « esprit », « âme ». Croyance en une âme des, choses ; en un monde des esprits, en une force vitale. Dans ce sens, l’animisme est la base de toutes les religions primitives. Aujourd’hui, le terme général d’animisme est plutôt considéré comme une attitude mentale recouvrant le fétichisme et la sorcellerie chez les peuples naguère appelés païens, répartis dans tous les continents, mais plus, particulièrement en Afrique et en Océanie.
Ancêtres (culte des) :
Une des plus anciennes manifestations religieuses qui se confond avec le culte des morts et le culte du foyer. L’âme ou le double, ou l’esprit des défunts continue de vivre une autre existence, tantôt jusqu’à un terme définitif, tantôt jusqu’à une prochaine réincarnation. Ces êtres désincarnés ont besoin de nourriture, d’invocations, de soins de la part des vivants qui les craignent. Toutes les religions primitives actuelles font encore une large part au culte des ancêtres.
Fétichisme:
Comportement magico-religieux de certains peuples dits « primitifs » envers des réceptacles ou support des dieux ou de forces surnaturelles qu’on appelle fétiches. Le fétichisme, particulièrement vivant en Afrique, est pour les habitants de ce continent une croyance ancestrale. Il les façonne leur donne une certaine
morale de crainte, le courage dans les épreuves ainsi que le respect des ancêtres et de la tradition.
Totémisme:
Système de caractère religieux commun à de nombreuses sociétés primitives d’Océanie, d’Afrique et d’Amérique, organisant la tribu en clans dotés chacun d’un totem. Ce totem, le plus souvent animal, parfois végétal, est considéré comme l’ancêtre du clan auquel il donne son nom; c’est un « dieu-ancêtre » et protecteur. Les conséquences de cette union intime du totem aux membres du clan entraînent de nombreux interdits ou tabous, dont l’exogamie (interdiction du mariage interclanique) et l’interdiction de consommer le totem sont les plus importants.
Etre suprême:
Considéré comme le créateur de l’univers y compris des divinités. Il est, de ce fait, au sommet de la hiérarchie du monde. Les Africains comptent sur les ancêtres et sur les divinités pour intercéder, en leur faveur, auprès de Lui.