L’esprit du mouvement F+R : Construire la famille

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Article extrait de la Revue F+R – Hiver 2017

L’esprit du mouvement F+R :
Construire la famille

Voici le deuxième article qui, de trimestre en trimestre, a la modeste ambition de rappeler les fondements et l’esprit du mouvement. Réfléchissons cette fois au premier article de notre charte: Construire la famille.

Je dois vous préciser de prime abord qu’à oser écrire sur le sujet, j’ai conscience d’être partiel et partial, subjectif. Ne me lisez pas du tout comme si j’avais le dernier mot sur la question. J’espère simplement vous apporter quelques petites lumières pour que ce beau chantier soit le moins ombragé possible.

CONSTRUIRE, C’EST UN CHANTIER

La première réflexion qui me vient est: nous voici sur un chantier. Par ce temps maussade – à l’heure où j’écris ceci – je reçois un coup de fil d’un neveu, occupé à des travaux d’intérieur dans sa maison. «Il y a toujours à faire, me dit-il. Une maison, c’est l’affaire de toute une vie.» S’il en va ainsi du toit qui abrite la famille, il en va de même pour ses habitants.

Une différence de taille existe cependant. Alors que la famille peut déléguer la construction de sa maison, son entretien et ses réparations à des professionnels, les seuls ‘ouvriers du bâtiment’ pour construire la famille sont ses membres. Bien sûr, il existe – et ce n’est pas à négliger – des conseillers conjugaux, des formations et livres sur l’éducation, la communication, la résolution des conflits, etc. Il existe des équipes de foyer, tel Fraternité de Route, par exemple. Tout cela peut aider mais, au pied du mur, c’est chaque membre de la famille qui tient sa truelle, qui fait œuvre belle, qui ébrèche aussi, qui répare, toujours dans une solidarité familiale pour le meilleur et pour le pire.

Ceci étant dit, deux remarques non négligeables méritent d’être mentionnées. Les humbles conseils amicaux, oui. Les donneurs de leçon, non. D’un côté, les pressions familiales pèsent et la tâche peut être rude pour s’en affranchir. De l’autre, l’environnement familial apporte un soutien sur lequel on sait pouvoir toujours compter. Les «tu devrais …», «il n’y a qu’à …», laissons-les aux belles-mères, celles qu’on caricature car, en réalité, il en existe de merveilleuses. Un jeune couple n’a pas besoin de se sentir jugé par ceux qui ont eu un temps la charge de leur éducation. La jeune génération a sans doute d’abord le désir de s’assumer et peut éventuellement avoir besoin d’être écoutée, voire conseillée, mais avec le respect de ce qu’elle décidera de faire des conseils demandés. «A ta place, je …» Nous ne sommes jamais à la place d’un autre. Réjouissons-nous de ses réussites, y compris avec lui. Espérons – en silence! – que le reste soit plutôt expérience et maturation qu’échec. Chacun est son propre juge et c’est déjà un juge de trop.

Ma seconde remarque porte sur le caractère collectif de la construction de la famille. Avec l’enfant de parents qui se séparent et qui confusément arrive trop souvent à s’en considérer le responsable, il y a du travail à faire pour remettre à chacun sa seule part de responsabilité. Dans le sens inverse, que de culpabilisations malsaines chez des parents qui imaginent être tout-puissant dans l’éducation de leurs chers enfants; «Qu’ai-je raté pour que mon fils, ma fille tourne à rien comme ça?» Il est plus d’une fois arrivé que mon épouse évoque le pénible écart entre la réalité du terrain et l’idéal d’une belle entente familiale ainsi que la construction harmonieuse de notre foyer. «Maman! Les rêves, c’est la nuit!», s’entendait-elle répondre par notre fille.

Donc, ne rêvons pas. Toute la vie, le chantier restera ouvert. Interdiction aux étrangers de circuler sur le chantier. Architectes et pro sont les bienvenus, seulement quand on fait appel à eux. En famille, on fera de son mieux ensemble, chacun y mettant du sien et restant solidaire dans les bévues et les réussites.

LES VALEURS ONT CHANGÉ

Les possibilités de communication par l’Internet, par GSM, Smart phone, etc. transforment plus que jamais les jeunes en enfants de leur époque avant d’être ceux de leurs parents. L’accent mis sur l’individu et son développement personnel, à côté de ses aspects positifs, entraîne une relativisation de la famille traditionnelle, me semble-t-il. D’une génération à l’autre, l’éducation et ses principes ne peuvent plus être les mêmes. Par exemple, l’exercice de l’autorité et le désir de dialogue ont bien changé. Ou encore, alors qu’un couple – à défaut d’être uni – restait ensemble «à cause des enfants», aujourd’hui, on entend dire: «Mieux vaut, y compris pour les enfants, des parents séparés et apaisés que des tensions familiales incessantes.»

Dans ces exemples comme en tant d’autres, nous nous rendons compte qu’il n’existe plus de modèle universel. Le terrain a changé; les plans sont donc à revoir, au cas par cas. Pour le couple, pour les parents et grands-parents, pour les enfants, pour tous en fait, construire la famille n’épargne pas les difficultés et demande de la créativité, de la confiance, du dialogue.

Enquêtes et sondages le montrent à foison. La mort de la famille, souvent annoncée, ne s’est pas produite. Bien au contraire, elle est placée en valeur numéro un. Dans un monde instable, quant à l’emploi notamment, la famille est devenue LE pilier, le point d’ancrage, objet de tous les investissements. Paradoxalement, je pense que trop en attendre, vouloir le couple parfait, être des
parents irréprochables et avoir des enfants modèles explique une part des échecs; découragé, on jette l’éponge. Pourquoi, bâtisseurs
de nos familles, devrions-nous tous être des Calatrava de leur architecture? Accepter son imperfection et donner le meilleur de soi, n’est-ce pas cela le développement durable véritable ?

LA FAMILLE, ÇA N’EXISTE PAS

La famille, c’est un concept mais dans la réalité, il n’y a que DES familles: classiques, monoparentales, recomposées ou mosaïques, unicellulaires (célibataires, veufs, veuves), nucléaires, élargies, trans-générationnelles, familles d’accueil, tribus, …

A quoi bon dès lors faire des comparaisons, s’imposer des normes communes, inadaptées à sa propre situation? Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry soigne sa rose avec amour. Bien sûr, elle est un peu capricieuse mais elle compte énormément pour  lui et il en a du bonheur … jusqu’au jour où il prend conscience qu’il en existe d’autres. Il doit apprendre que c’est le temps qu’il passe pour sa rose qui la rend unique et crée une relation de grande valeur.

LES FAMILLES NE SONT PAS DES ÎLES FLOTTANTES

«Eloïse, iras-tu à l’anniversaire de Pierre» – «Sais pas, faut qu’je d’mande à mes copines si elles y vont.» L’importance du groupe amical, ça compte! Mais aussi celle de l’école, du mouvement de jeunesse, et de toutes les activités parascolaires. Et chez les adultes, il en va de même; il n’y a pas que la famille qui compte. Il y a le boulot, les relations, les bénévolats, les hobbys, les « obligations » diverses.

Chacun est appelé à composer avec ses multiples identités, dans et hors de sa famille. Cela concerne l’organisation de son temps: combiner les entraînements du foot et le cathé, par exemple, aider à la vaisselle et sortir, s’engager en paroisse et passer des soirées en couple, être disponible pour ses petits-enfants et se garder du temps « pour soi », etc. Cela concerne aussi les valeurs; lesquelles sont prônées dans et hors de la famille, avec des conflits possibles, inévitables: la coopération lors de la fête du village, la compétition à l’école, la société dévouée au dieu-argent, la simplicité volontaire du budget familial, le harcèlement au boulot, le respect de la tante qui radote, la salle de musculation, l’exposition sur l’immigration, …

Il s’agissait de « construire la famille » et nous voilà avec notre propre famille dans laquelle se retrouve le monde entier, ses habitants et ses valeurs. Quel beau projet pour toute une vie que de construire sa famille, sans repli sur soi, sur elle, dans et solidairement avec le monde qu’elle partage.

Frédéric Paque
Les Mains Ouvertes, Visé